le vol
Elle ne pouvait rester là indéfiniment à écouter son cœur imploser lentement. Son enfermement lui semblait encore trop doux. Les murs trop éloignés de son corps. Elle aurait voulu les sentir se refermer sur elle, entraînant un peu plus d’obscurité. La lumière était bien trop franche pour la journée qui s’annonçait. Elle qui aimait mélanger ses larmes à la pluie. Manifestement cela aussi lui serait refusé.
Ce n’était pas sa place. Non. Pas sa place. Mais elle n’avait pas de place. Elle n’avait pas. Elle n’avait plus.
Elle s’arma d’un jeans emprunté, d’un T-shirt volé, d’une écharpe bleue, d’une bague suspendue et s’enfonça au plus profond de la forêt. Elle marcha une bonne heure avant de trouver l’arbre qui l’emporterait. Elle s’adossa. Se laissa glisser. Une main contre l’écorce, une autre dans la terre.
En fermant les yeux, elle sombra lentement dans un noir profond et pourtant accueillant. L’espace était rocailleux, une roche noire teintée de bleu et de vert, l’air était rare mais apaisant. Il y avait à présent un deuxième battement de cœur, légèrement plus rapide que le sien. Egoïstement, cela la rassura.
Son regard commençait à s’habituer à l’obscurité et peu à peu elle localisa l’origine, la source, le cœur du battement. Elle s’approcha et, nue, s’enroula autour. C’était une douleur vive, implacable, une douleur originelle. Elle se serra encore un peu plus fermement, jusqu’à la sentir se fondre en elle.
Au bout de quelques heures, le froid, l’humidité, le vent glacé l’arrachèrent à sa torpeur. Ses jambes s’étaient repliées sous elle.
Ses doigts profondément enfoncés dans la terre.
Cette terre.
Cette terre qui nous rappelle.
À elle.
Elle rentra. Transie. Abasourdie. Glacée.
Heureuse d’avoir pu toucher cette roche noire teintée de bleu et de vert.
Heureuse d’avoir pu lui voler un peu de sa douleur.
Heureuse de la terre sous ses ongles.
Photographie © Anne Hérion