la beauté extérieure

Comment pourraient-ils savoir ?
La façade est si réussie.
Comment pourraient-ils savoir ?

Leurs regards sur moi aiment se poser.
C’est comme ça.
Depuis toujours.
C’est mon fardeau.
Je suis belle.

Je les ai longtemps méprisé pour cela. Aujourd’hui je les plains.
S’ils savaient, ils partiraient en courant.
C’est d’ailleurs ce qui est arrivé. Un soir. 
Il était tard, j’étais épuisée. Il était là, devant ma porte.
Il était là depuis si longtemps que je n’aurais pu dire depuis combien de temps il attendait.
Fatiguée de dire non, fatiguée de ne pas être entendue lorsque je les mettais en garde, je lui ai ouvert.
Surpris, il a hésité puis est entré.

Nous étions là, mon corps et moi. Nous savions tous deux pour lequel d’entre nous il était venu.
Nous savions aussi que le fait de pénétrer le premier découvrirait le second.
Ce n’était pas faute de l’avoir prévenu.
Il s’approcha. Il avait plus de mains et plus de bras que je ne l’aurais imaginé.

Craignait-il que je change d’avis qu’il s’empressa à ce point de ne faire de moi qu’une bouchée.
Une seule bouchée avant de s’endormir.
Je restais là. Allongée. La gorge pleine de sentiments vains.
Il se réveilla souriant. Fier. Presque conquérant.
Puis.
Il posa les yeux sur moi.
Pas sur ce corps tant désiré, si patiemment convoité.
Non. Sur moi.
Il me vit telle que j’étais. Si jeune et déjà si vieille, meurtrie, courbée, tuméfiée, violentée.
Et il eut honte. Honte d’être un homme. Honte d’être un homme dans ce regard-là.
Sa honte plaça ses jambes à la hauteur de son cou. Le temps d’un clignement de paupière il n’était déjà plus là.
Il n’avait même pas pris la peine de refermer derrière lui.

Comment aurait-il pu savoir ?
La façade est si réussie.